Le mercure est toxique pour les humains et les écosystèmes. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) le classe parmi les dix produits chimiques les plus préoccupants pour la santé publique [1]. La revue de littérature réalisée dans le cadre du volet dédié au mercure de l’étude Esteban [2] (voir encadré « Etude Esteban») indique que l’exposition chronique, même à de faibles concentrations de mercure, peut entraîner une toxicité cardiovasculaire, reproductive et développementale, une neurotoxicité, une néphrotoxicité, une immunotoxicité et une cancérogénicité.
Une réglementation professionnelle et internationale qui évolue
Afin de réduire les risques que ce métal représente pour la santé humaine et l’environnement, une action mondiale est engagée à travers la signature de la convention internationale de Minamata (en référence à la catastrophe de la baie de Minamata – voir encadré « La catastrophe de la baie de Minamata » [3]). Adoptée en 2013 par 140 États, dont la France, elle contraint les pays signataires à contrôler les émissions anthropiques de ce composé. Elle prévoit notamment des mesures d’élimination progressive de l’utilisation des amalgames dentaires. C’est dans ce cadre que, depuis le 1er juillet 2018, une directive européenne impose à l’ensemble des praticiens de la zone euro de ne plus poser d’amalgames sur les populations les plus vulnérables face aux risques en lien, à savoir les enfants de moins de 15 ans, les femmes enceintes et les femmes allaitantes. D’autres directives sont à venir, pour aboutir à une interdiction complète avant 2030 [4].
En France, la question de l’utilisation de l’amalgame dentaire est débattue depuis plus de trente ans, mais la réponse n’est pas tranchée. Dans un rapport émis en 2005, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) concluait qu’au vu de l’état des connaissances, rien ne permettait d’affirmer que les amalgames dentaires présentaient un risque sérieux pour la santé de la population. Les données toxicologiques classiques établissent que les doses libérées sous forme de vapeur dans la bouche du patient sont très en deçà de celles pouvant entraîner des effets toxiques chez l’être humain, et qu’un risque pourrait intervenir à partir de 10 amalgames en bouche [5]. En 2015, l’actualisation des données conduit l’agence à recommander d’éviter la pose d’amalgames chez les femmes enceintes ou allaitantes. Chez l’enfant, sur dents temporaires, l’utilisation d’amalgames dentaires ne doit s’envisager qu’en toute dernière intention [6].
Parallèlement à la gestion des risques sanitaires, pour pallier les risques environnementaux liés à l’utilisation du mercure, plusieurs lois ou recommandations ont été publiées, applicables au sein des cabinets dentaires français :
- gestion des effluents : installation d’un séparateur d’amalgames sur le réseau d’évacuation d’eau de l’unit dentaire ;
- gestion des déchets mercuriels solides strictement menée à la charge du praticien (stockage de tous les déchets secs et liquides dans un local dédié, dans des conteneurs adaptés, fermés hermétiquement, transportés et traités par des prestataires spécialisées) [7] ;
- utilisation de capsules prédosées (décision du 14 décembre 2000).
Données toxicologiques du mercure
Extrêmement volatil et bioaccumulable, la toxicité du métal dépend de la voie d’exposition, du moment et de la durée d’exposition, de la dose absorbée et de la nature de l’espèce chimique sous laquelle il pénètre dans l’organisme, puis dans les organes cibles.
On retrouve le mercure (Hg) sous différentes formes :
- le mercure élémentaire ou métallique (HgO). Il est présent au cabinet dentaire dans l’air ambiant sous forme de vapeur. Le dernier rapport du Scientific Comittee on Emerging and Newly Identified Health Risks (SCENIHR) confirme que les professionnels de la dentisterie ont un taux d’imprégnation au mercure (sang, urines, phanères) plus élevé que la population générale [8, 9]. Il est émis majoritairement au moment de la pose et de la dépose des amalgames, mais également, pour le patient, tout au long de sa présence en bouche, lors de la mastication, a fortiori lors de la mastication répétée de chewing-gum, la prise de boissons chaudes, le brossage, le blanchiment externe ou encore le bruxisme. Selon un consensus émis par l’OMS en 1991, le relargage moyen du mercure via les amalgames posés en bouche est estimé à 10 µg/jour.
Hg0 est absorbé par voie respiratoire à hauteur de 80 %. Il se distribue ensuite dans la majorité des tissus avec une affinité particulière pour les reins et le cerveau. Il est capable de passer les barrières placentaire et hémato-encéphalique, ainsi susceptible de s’accumuler au niveau cérébral dans le cas d’exposition prolongée. Hg0 peut provoquer des atteintes du système nerveux (hydrargyrisme), des reins et des poumons s’il est inhalé ;
- le mercure inorganique – ou sels inorganiques de mercure (Hg+ et Hg2+) – est issu de l’oxydation du Hg. Il est établi que les restaurations par amalgames dentaires sont la principale source de mercure inorganique pour la population générale. Il touche particulièrement les reins ;
- le mercure organique issu d’une combinaison du HgO ou du Hg inorganique avec du carbone. Ainsi combiné, le mercure est facilement absorbable par l’organisme. Parmi les composés organiques, le méthylmercure est reconnu comme particulièrement toxique pour le système nerveux central humain. Le méthylmercure a été classé par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) comme cancérogène possible pour les humains (groupe 2B), en particulier pour le cancer du rein. La source principale est la consommation de poissons et de fruits de mer.
Le mercure dentaire est susceptible de participer à la pollution des milieux sous cette forme de manière indirecte. Rejeté dans l’environnement, naturellement par les patients porteurs d’amalgame ou de manière professionnelle accidentelle via les déchets et les effluents, une partie de celui-ci peut ainsi se retrouver sous forme méthylée et venir pénétrer la chaîne alimentaire.
L’élimination du mercure élémentaire et des dérivés inorganiques est principalement rénale. L’urine est donc le meilleur indicateur de l’exposition au mercure inorganique et au mercure élémentaire. Le mercure organique est principalement éliminé, quant à lui, par la voie biliaire, donc fécale. Il est aussi éliminé dans les cheveux et les poils. Son dosage est ainsi facilement réalisable par l’analyse du mercure capillaire.
Ce que nous apporte Esteban en médecine bucco-dentaire
Les résultats acquis au travers de l’étude transversale Esteban fournissent une nouvelle estimation des niveaux d’imprégnation par le mercure capillaire de la population française continentale qui reflète l’exposition au mercure organique. 100 % des enfants et 99,6 % des adultes présentaient dans leurs cheveux des niveaux de mercure quantifiables. La recherche des déterminants de l’exposition a confirmé les facteurs alimentaires d’exposition connus dans la littérature comme la consommation de poissons et de fruits de mer.
L’étude permet pour la première fois de mesurer le mercure urinaire en population générale en France, celui-ci reflétant l’exposition au mercure élémentaire et inorganique. 99,4% des enfants et 95,6 % des adultes avaient des niveaux de mercure urinaire quantifiables. Le facteur d’exposition principal retrouvé est la présence d’amalgames dentaires, conformément à la littérature, aussi bien chez les enfants que chez les adultes. Les niveaux d’imprégnation par le mercure urinaire augmentaient en fonction du nombre d’amalgames. L’imprégnation était plus élevée de 43 % chez les adultes qui avaient une dent avec un amalgame par rapport à ceux qui n’en avaient pas. L’augmentation était de 112 % chez ceux qui avaient au moins 5 dents avec amalgame.
Le rapport souligne le fait que l’établissement des valeurs de référence d’exposition ainsi établies dans le cadre de l’étude pourrait permettre d’appuyer la stratégie des pouvoirs publics en matière de santé publique. Il nous apprend d’ailleurs que l’ANSM travaille actuellement à la mise à jour des recommandations émises en 2005 pour la profession.
À la lecture des résultats de l’étude, on peut s’attendre à une évolution des recommandations propre à maîtriser les risques liés à l’exposition chronique des chirurgiens-dentistes et assistant(e)s dentaires, mais aussi à renforcer l’information et la protection de l’ensemble des patients potentiellement porteurs d’amalgame, a fortiori les publics les plus vulnérables.
Pratiques et tendances actuelles en dentisterie restauratrice
Dans le cadre de la convention de Minamata, un rapport européen sur la faisabilité du remplacement des amalgames par des biomatériaux alternatifs a été commandé. Publié en 2020, il offre notamment une estimation de la demande annuelle en mercure dentaire au niveau des 28 pays européens pour l’année 2018 [10]. Elle se situe entre 26,9 t et 58,3 t/an en 2018 (moyenne 42,6 t/an). L’estimation par État place la France en tête (fig. 1) en valeur absolue, avec une consommation se situant entre 3,251 t/an et 16,6 t/an. En considérant la part de restaurations à l’amalgame dentaire par rapport aux restaurations totales, la France se situe dans le groupe médian avec 10 à 30 % des obturations réalisées à l’amalgame. Le rapport pointe aussi du doigt une absence de données précises car le sujet n’a pas fait l’objet d’une étude nationale depuis le dernier rapport de l’ANSM, les estimations sont réalisées à partir de données datant de dix ans [11].
L’amalgame dentaire est reconnu comme un matériau de restauration intéressant en termes de résistance et de longévité. Cependant, ses faibles qualités esthétiques et la toxicité potentielle liée au mercure incitent praticiens et patients à plébisciter le recours à des matériaux alternatifs tels que les composites. Malgré la tendance en France à une moindre utilisation à l’amalgame en dentisterie conservatrice, sa consommation n’en reste pas moins relativement importante. De plus, même si un arrêt complet de son usage est à prévoir, la dépose d’anciens amalgames sur indication thérapeutique ou l’extraction d’une dent porteuse d’une reconstitution par amalgame continueront d’exposer professionnels, patients et environnement aux rejets mercuriels pendant encore plusieurs décennies. La problématique de la dépose et de la gestion des déchets ne doit pas être éludée.
Évolution des pratiques et gestion des risques
Dans le cadre du renforcement de la gestion du risque associé aux amalgames, plusieurs procédures et actions de sensibilisation pourraient être développées, dont :
- une campagne d’évaluation des pratiques professionnelles actuelles en lien ;
- une surveillance du mercure urinaire des professionnels de santé, libéraux et salariés, a fortiori chez les professionnelles en période de préconception, enceintes ou allaitantes ;
- la publication d’un protocole cadré de dépose émis par une société savante, précisant, entre autres, si la prescription au patient d’un chélatant est indiquée avant un acte de dépose, sa nature et le dosage indiqué le cas échéant, l’information que seul le masque HgP3 est susceptible de protéger des vapeurs de mercure ;
- la poursuite d’une formation initiale des futurs praticiens sur les risques associés à la dépose et à la gestion des déchets au-delà de 2030 ;
- une campagne de sensibilisation des patients sur les connaissances actuelles des risques liés aux amalgames et les indications strictement définies de la dépose d’anciens amalgames.
Concernant les alternatives à l’amalgame, la prudence est de mise. Plusieurs études ont également mis en évidence une toxicité potentielle les concernant. C’est le cas du risque de relargage de bisphénol A, reconnu perturbateur endocrinien et classé substance cancérigène mutagène reprotoxique (CMR) de catégorie 2 pour la reproduction, c’est-à-dire « susceptible de nuire à la fertilité ou au fœtus », potentiellement observé après la pose de composites, certains étant fabriqués à partir de monomères dérivés de ce composé, ou l’utilisation de biomatériaux contenant des nanomatériaux. Ces derniers nécessitent des preuves scientifiques supplémentaires quant à leur innocuité [4, 12-15]. De plus, il est à noter qu’à ce jour, les fabricants de dispositifs médicaux ne sont toujours pas tenus d’informer les utilisateurs des biomatériaux dentaires de leur composition complète. Il est donc impossible d’être certain de leur biocompatibilité.
Cette donnée et la reconnaissance d’une absence de certitudes quant aux risques sanitaires associés à l’usage des amalgames et de ses alternatives posent la question du recueil du consentement éclairé du patient pourtant exigé au chirurgien-dentiste avant tout soin dentaire.
Une conclusion de bon sens à l’ensemble des propos avancés ici serait l’invitation à considérer, en parallèle de la nécessité de poursuivre la recherche et le développement de biomatériaux plus biocompatibles, l’intérêt évident de développer avant tout les politiques de promotion et de prévention de la santé bucco-dentaire. Certains pays européens ont adopté une politique centrée sur l’accès à la santé bucco-dentaire qui fait la part belle à la prévention. Ces orientations prises il y a plusieurs années, en Allemagne notamment, portent aujourd’hui leur fruit [16, 17].
L’auteur remercie l’équipe de l’enquête Esteban au sein de l’agence Santé publique France pour la relecture de cet article.
ÉTUDE ESTEBAN
L’étude nationale de santé publique ESTEBAN – Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition
Cette étude transversale, menée entre 2014 et 2016, a pour but de regrouper les données nécessaires pour développer une vision plus globale de la santé, qui associe environnement, alimentation, nutrition, activité physique et maladies chroniques. Elle évalue notamment l’exposition de la population française à divers substances chimiques et métaux, dont le mercure, présents dans l’environnement et potentiellement néfastes pour la santé. Les données présentées en 2021 complètent les résultats publiés successivement en 2019 concernant les perturbateurs endocriniens et en 2020 concernant le plomb.
L’étude porte sur un échantillon représentatif de la population générale composée de 2 503 adultes et 1 104 enfants, âgés de 6 à 74 ans. Elle s’appuie sur des prélèvements biologiques (urines, cheveux et sang), ainsi que sur un questionnaire consacré aux habitudes de vie et d’alimentation.
Conçue pour être répétée tous les sept ans, cette enquête permet de recueillir des données sur le long terme, d’effectuer un suivi de l’exposition de la population et d’identifier les principales sources d’exposition.
Concernant les alternatives à l’amalgame, la prudence est de mise. Plusieurs études ont également mis en évidence une toxicité potentielle les concernant.
La catastrophe de la baie de Minamata
Les habitants de la ville de Minamata, petite cité de pêcheurs dans une baie du sud du Japon, ont assisté, dans les années 1950, à l’apparition de phénomènes étranges parmi la population. Plusieurs individus, dont des jeunes enfants, étaient atteints de crises convulsives et autres troubles neurologiques sévères. On crut d’abord à une épidémie. Puis les soupçons se portèrent sur la société Chisso, qui possédait une usine de produits chimiques et qui déversait des dérivés de mercure dans la baie. Ces rejets ont entraîné la pollution des eaux du lacs par le méthylmercure. Ce dernier, bioaccumulable, intoxiqua alors les poissons de la baie, eux-mêmes pêchés et largement consommés par les pécheurs locaux et leurs familles. On sait aujourd’hui qu’il perturbe les hormones thyroïdiennes. Et une insuffisance thyroïdienne pendant la grossesse altère le développement cérébral de l’enfant à naître. C’est pourquoi les femmes enceintes exposées à cette pollution donnèrent naissance à des enfants atteints de troubles neurologiques graves et irréversibles.
La baie de Minamata a ensuite subi une dépollution partielle et l’entreprise fut condamnée par la justice. Officiellement, près de 13 000 personnes, dont 900 sont décédées, ont été victimes des 400 tonnes de mercure déversées dans la baie entre 1932 et 1966.
RÉFÉRENCES
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