Frits Thaulow, superbe surprise !

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Impressionnant, l’ami Frits ! « Je suis… un peintre norvégien né en 1847, apparenté à Gauguin et Munch, à la fois impressionniste et réaliste, qui excelle à peindre l’eau, la neige, la glace, mais aussi des scènes nocturnes teintées d’onirisme, je suis, je suis… » Vous ne voyez pas ? Tant mieux : Frits Thaulow vous réserve une formidable découverte !
Fils de famille fortuné, force de la nature et travailleur acharné, le diplômé en pharmacie qui préfère broyer les couleurs va se révéler dans l’exil, comme tant d’autres artistes scandinaves, tels Ibsen, Knut Hamsun, Strindberg, Karen Blixen… Débarquant à Paris en 1874, année inaugurale de l’impressionnisme, le géant solaire se lie vite à ses confrères peintres de plein air. Avec la fluidité du pastel, qu’il découvre et dont il fera grand usage, il se frotte à leur vision et fond leurs influences dans une synthèse toute personnelle. Mais son appétit de voyage le porte à courir bien plus de paysages que ces habitués du train de Normandie. Après Le Havre, Dieppe, Abbeville, Montreuil-sur-Mer et la Bretagne – et de fréquents retours en Scandinavie –, il sillonne pendant près de trente-cinq ans la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Belgique, la Hollande, l’Espagne, l’Italie et les États-Unis, où sa sensibilité pré-écologique va connaître un succès foudroyant et durable. Son style est à la fois d’une prodigieuse subtilité et très spectaculaire ; on y retrouve les leçons de la révolution impressionniste, mais il possède comme personne l’art d’immerger le spectateur dans le paysage. Ce n’est plus seulement l’impression captée sur le vif qui est ici restituée, mais l’illusion de la réalité même, retranscrite à travers une maîtrise hors pair et parfaitement assumée de l’artifice. Il s’en expliquera d’ailleurs en 1901, cinq ans avant sa mort : « Je cherche tout autre chose que la vérité absolue, et je comprends l’esprit de ce paradoxe : “Il n’y a que le mensonge qui soit vrai en peinture.” Mais je resterai, même avec les “mensonges”, le naturaliste que j’ai toujours été : je tâcherai toujours de rendre l’illusion de ce que j’ai observé dans la nature. »

Génie de l’eau vive. « Je suis resté longtemps à regarder l’océan. Les larges masses d’écume s’élargissaient en lignes merveilleuses et en masses décoratives semblables à des dalles de marbre noir et blanc, polies par les flancs durs du navire », écrit Frits Thaulow dans ses mémoires. Peintre de la marine à ses débuts, il a très tôt été salué pour son talent à peindre la houle marine et le fracas des vagues, mais aussi le bouillonnement des vannes, les ruisselets des biefs ou de simples flaques miroitantes, humbles sujets auxquels il donne une saisissante vérité. Autour de la notion de vrai en art, vers 1890, les Réalistes, les Naturalistes et les Symbolistes s’écharpent tandis qu’il peint à l’écart de la bataille ses grands chefs-d’œuvre au fil de l’eau, son thème de prédilection. Préfigurant le « mentir vrai » d’Aragon, il pousse si loin ses recherches que son rendu du réel tend presque la main à l’hyperréalisme, né près d’un siècle plus tard, et à la haute définition ; d’où l’intérêt de redécouvrir son œuvre avec notre œil conditionné par la HD. Un réflexe irrésistible nous rapproche des toiles pour « voir comment c’est fait ». Mais rien ne relève ici du trompe-l’œil ; aucun “truc” décelable ni aucun procédé optique comme la touche fragmentée ou le pointillisme ne vient troubler la limpidité de ces eaux courantes où flux et reflets entremêlent leurs flous autour de lumineux isolats d’une stupéfiante netteté. Il faut, pour reproduire d’aussi vastes étendues liquides sans se noyer dans les excès du réalisme, une connaissance intime et poétique de l’élément, fruit d’une longue devination (« de la devination plus que de l’observation », écrit Zola dans La bête humaine à la même époque), une appréhension globale de ce qu’est l’eau en mouvement avec ses zones de calme, ses frissonnements imperceptibles de surface et ses profonds remous de verre fluide. La seule indication technique qu’il nous donne est peut-être sa remarque sur les masses, les lignes et les surfaces de marbre poli qu’il voyait dans l’océan. De telles transpositions se produisent : il se peut qu’il ait cheminé par les veines luisantes de la pierre jusqu’à celles de ces ondes ridées plus vraies que nature.

Chantre de la vie au grand jour. À mesure qu’il se rapproche du Symbolisme – quoiqu’il s’en défende – Frits Thaulow s’éloigne du monde urbain. S’il a peint des ports et des usines, c’est un monde débarrassé de ces pollutions humaines qu’il veut fixer à l’heure où pointent les menaces écologiques. La clarté de ses torrents, bondissants ou gelés, la virginité de ses neiges immaculées, la richesse chromatique de ses frondaisons pétillantes au printemps, opulentes l’été, flamboyantes l’automne, étincelantes l’hiver, témoignent de la tendresse profonde qu’il voue à la terre, plus qu’aux hommes. Peu de personnages d’ailleurs animent ses toiles, toujours ramenés à de modestes proportions, à leur place secondaire sur cette planète. Ses paysages respirent à pleins poumons un air sain et portent la marque d’un moralisme serein profondément scandinave. On y lit souvent une sorte de gravité intègre et sobre, dépourvue de tout sentimentalisme superflu, pétrie dans la masse d’authenticité simple. Une vie qui n’a rien à cacher, tout à offrir, où la sensualité fait place à la sensorialité tellurique, le fruit défendu à la nourriture terrestre. Cette sensibilité agreste ne vire jamais au tableau champêtre apprêté, à l’idylle bucolique chargée de romantisme ni même à une exaltation naturaliste de la vie rurale et du dur labeur des champs. Thaulow se borne à peindre une nature nette, précise et juste, telle qu’elle est et devrait demeurer. L’intemporalité de ses toiles est d’ailleurs remarquable : elles pourraient dater d’hier si l’on possédait encore un tel métier, d’autant que l’art de l’illusion porté à la perfection, les cadrages inventifs et un sens du mouvement très cinématographique les projettent dans une modernité sans égale.

Poète de la magie nocturne. Les lumières du septentrion n’avaient pas de secrets pour Thaulow qui peignait de l’aube au crépuscule ces pays où jour et nuit peuvent se confondre dans un clair-obscur étranger à nos yeux. Cette science, renforcée par l’influence de Whistler, du Blue Painting scandinave et du Luminisme belge, s’épanouit dans ses nocturnes au charme véritablement prenant. Ici, l’émotion est palpable, ressentie même par ceux qui lui reprochaient de s’enfermer dans une virtuosité répétitive, monotone et froide. Thaulow se révèle peintre d’atmosphère de la plus belle eau. Comme toujours, il se tient à distance des courants du temps au profit d’une combinaison personnelle. On pourrait le situer entre deux tendances du Symbolisme, l’idéalisme néo-impressionniste de son ami Henri le Sidaner et l’idéalisme synthétique de Gauguin et Munch. Mais qui songe à nommer le délicat mystère de ces petites musiques de nuit ? Debussy, peut-être…

Frits Thaulow, paysagiste par nature, au Musée des Beaux-Arts de Caen.
Une grande rétrospective inédite du peintre, entouré de ses contemporains.
Jusqu’au 26 septembre 2016

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