L'Information Dentaire n°31 - 20 septembre 2023

Relativité

«Voilà, c’est fini ! » Les mots de ce chirurgien, il y a quelques années, qui s’est occupé sous anesthésie locale d’une infection à l’un de mes doigts, résonnent encore comme une délivrance. Que l’intervention m’a semblé longue ! Connaissant ma profession, il s’était en plus offert cette merveilleuse réflexion en début d’intervention : « Vous verrez, c’est beaucoup moins douloureux que vos anesthésies  !  » Menteur ! Car mon chirurgien-dentiste est beaucoup plus doux, et l’injection inter digitale est plutôt à classer dans le registre des sensations à oublier.

« Voilà, c’est fini !» C’était aussi l’exclamation d’un touriste juste à côté de moi au moment où le soleil disparaissait au large de la dune du Pilat, au-delà du banc d’Arguin. Et sa jeune fille, les yeux encore remplis de ce beau spectacle offert par la nature, de lui répondre : « Déjà ? Mais il s’est couché trop vite ! » Pourtant, le soleil avait pris bien plus de temps pour s’endormir que le chirurgien pour m’opérer. Le temps ne passe pas de la même façon selon l’émotion ressentie. Cette émotion et sa perception sont des caractéristiques de l’humain, et non de l’intelligence artificielle, et elles vont rester propres aux vivants pour quelque temps encore. Pour combien de temps ? Difficile à évaluer, tant cette « technologie informatique » progresse en s’auto-alimentant des renseignements collectés et fournis, notamment, par Internet.

Des systèmes d’intelligence artificielle semblent déjà capables d’intégrer une modification de la décision en fonction de l’émotion provoquée par une situation. Ces systèmes dépourvus de préjugés thérapeutiques vont-ils alors devenir notre référence décisionnelle ? Car il est évident que dans les options thérapeutiques que nous proposons à un patient, il est important, mais difficile, de ne pas lui fournir une vision parfois un peu biaisée par nos propres compétences, nos propres « affinités » thérapeutiques. Ainsi, comme il est souligné dans l’article de Jean-Pierre Attal et coll., dans l’application de la dentisterie fondée sur les preuves (Evidence based dentistry), les conditions cliniques (au sens large, buccales, générales et donc émotionnelles) et les choix du patient (choix cliniquement acceptables) font partie intégrante de la décision finale. Pour quelque temps encore, et j’espère le plus longtemps possible, le rapport humain que nous créons avec nos patients, les émotions que nous percevons, ne sont pas accessibles aux algorithmes informatiques.

Cette relation essentielle permet ainsi à ces derniers de trouver parfois moins longues les séances thérapeutiques.

Michel Bartala, Rédacteur en chef