Le Dossier Médical Informatisé et la messagerie professionnelle sécurisée : quels sont les enjeux de ces deux piliers du praticien connecté ?

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Information dentaire
S’il ne manque pas d’actualité riche concernant l’intelligence artificielle et ses algorithmes, les chatbots, la blockchain, les réalités augmentée et virtuelle, le dossier médical informatisé et la messagerie professionnelle sécurisée restent les outils essentiels du praticien connecté. Découvrons les multiples objectifs et défis du dossier informatisé. Faisons le point sur l’espace de confiance des messageries professionnelles.

La longue histoire du dossier médical informatisé

Le dossier médical informatisé était l’un des tout premiers outils numériques imaginés par les professionnels de santé, lors de l’introduction de l’ordinateur et il reste, partout dans le monde, un outil fondamental de liaison et de gestion des informations patient, entre professionnels, entre professionnels et patients. Le dossier patient informatisé participe aussi à collecter des informations pertinentes en santé publique. La messagerie est, quant à elle, cinquantenaire et donc l’une des plus anciennes applications de l’internet. La messagerie professionnelle est un outil de travail fondamental pour tous les praticiens, notamment dans sa version sécurisée.

Si la mise en œuvre du dossier médical informatisé est longue et complexe, son émergence sous un format papier conservé chez le praticien a elle-même pris des siècles. Il a fallu attendre la fin du XVIIIe siècle pour que le dossier médical soit individualisé par patient en France ; le cahier de visite est alors accroché au pied de chaque lit. Cent ans plus tard apparaît un dossier de suivi régulier des soins médicaux. Au XXe  siècle, la spécialisation de la médecine rend nécessaire la généralisation d’un dossier médical détaillé. A la Mayo Clinique, en 1931, les médecins innovent en annonçant qu’une chemise contenant des données médicales de qualité est une exigence éthique [1] !

A partir des années 1970, des professionnels de santé et informaticiens, voire des professionnels de santé ayant des compétences en informatique, commencent à collaborer à l’informatisation du dossier médical dans tous les pays. Cinquante ans plus tard, et alors que le nombre de sources de données médicales par patient ne cesse d’augmenter, assurer la collecte et l’exploitation optimales de ces données reste un enjeu de taille.

Les multiples objectifs du dossier médical informatisé

Un dossier médical informatisé complet pourrait satisfaire à de multiples tâches :

  • rassembler l’historique du patient (allergies, dates d’immunisation, résultats d’examens, diagnostics, ordonnances, notes de consultations et comptes rendus médicaux, chirurgicaux) ;
  • donner accès au professionnel à des outils d’appui à la prise de décision et au suivi ;
  • faciliter la collaboration entre professionnels ;
  • faciliter la collaboration entre professionnels, patients et aidants ;
  • contenir les dernières volontés et instructions des patients ;
  • accélérer le dépistage de maladies connues et émergentes, de l’épidémiologie, de la pharmacovigilance, de la découverte d’indications nouvelles de traitements existants.

Les cinq défis du dossier médical informatisé

Mais le dossier médical informatisé nous impose plusieurs défis. Pour collecter et pour partager les informations, les dossiers doivent être à jour, sans que l’effort requis ne porte préjudice ni au professionnel, ni au patient ; les dossiers doivent être interopérables ; ils doivent protéger la confidentialité des patients.  Détaillons ces défis.

Le défi de la complexité des systèmes d’information

Ce schéma, extrait de la thèse doctorale « Comment améliorer l’usage du Dossier Patient Informatisé dans un hôpital ? » [2], visualise la relation entre les composantes des systèmes d’information en santé. Comment assurer que le dossier médical soit accessible et correctement rempli, quel que soit le lieu d’origine de la donnée, dans un contexte aussi complexe ? Cette illustration nous permet de mieux appréhender la difficulté. 

Le défi de l’interopérabilité

Selon une étude américaine récente, l’hôpital moyen fait appel à 16 prestataires de dossier médical différents [3]. La start-up française Lifen, spécialiste de l’échange sécurisé d’informations médicales entre établissements et professionnels, nous apprend qu’en France, cinq dossiers patients informatisés différents sont installés par hôpital, provoquant de la double saisie et des problèmes d’interopérabilité à l’intérieur même des établissements. « La multiplication des logiciels contribue au dysfonctionnement des systèmes d’information dans les hôpitaux avec entre 100 et 800 logiciels par établissement ».

Si transmettre une image entre systèmes hospitaliers, voire avec les cabinets en ville, se heurte à l’incompatibilité des systèmes, le dossier patient informatisé ne sera pas complet.

Un autre exemple est le partage du dossier patient informatisé entre médecin et chirurgien-dentiste qui n’est pas fait de façon systématique, alors qu’en principe quasiment tout patient voit ces deux professionnels.

Le défi de la mise à jour

D’autre part, la mise à jour du dossier patient informatisé par les cliniciens génère un double problème : elle réduit le contact direct entre le professionnel de santé et son patient durant la consultation, et ajoute au temps administratif du clinicien, ce qui contribue à la fatigue, voire au burnout des praticiens ; ceci est confirmé par une revue de la littérature publiée dans le journal de la Mayo Clinique [4] dédié à la qualité des processus.

Et pourtant, les patients en France ont le droit de bénéficier d’un dossier médical depuis la loi de 2002. La loi de 2004 en France officialise le dossier médical personnel ou « DMP », et le définit comme « un ensemble d’informations concernant la santé du patient détenues par le professionnel, qui sont formalisées et ont contribué à l’élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou d’une action de prévention, ou ont fait l’objet d’échanges écrits entre professionnels de santé ». Ce dossier informatisé est répertorié dans une base de données nationale [5].

Le défi de la confidentialité

Concernant la protection de la confidentialité des données présentes dans le DMP, les textes de la Cnil sont clairs. « L’accès au DMP d’un patient est réservé aux professionnels de santé expressément autorisés par le titulaire… Une matrice d’habilitation définit précisément le type de documents auquel chaque professionnel de santé accède en fonction des informations qui lui sont nécessaires… L’ensemble des accès et actions sur le DMP est tracé. »

La mise en place du DMP n’a pas manqué de susciter des controverses concernant son coût, ses fonctionnalités, son usage en pratique. En 2017, la Cour des comptes rappelle encore qu’un dossier doit être convivial, interopérable, et complet [6]. Officiellement disponible pour tous en France depuis fin 2018, soit quatorze ans après l’annonce initiale, le DMP a vu ouvrir huit millions de comptes sa première année.

 

Le Dossier Médical Partagé [7] en France permet de retrouver :
  • L’historique des soins des 24 derniers mois.
  • Les résultats d’examens (radios, analyses biologiques…).
  • Les médicaments pris.
  • Les coordonnées des personnes à prévenir en cas d’urgence.
  • Les antécédents médicaux (pathologies, allergies…).
  • Les comptes rendus d’hospitalisations.
  • Les directives anticipées pour exprimer les volontés de fin de vie.

 

Le défi de la demande d’accès aux données personnelles

 Selon la Cnil, la demande par les patients à accéder à leurs données personnelles augmente et des manquements par les professionnels font chaque année l’objet de sanctions. En juillet, 2020, la Cnil a alerté l’Ordre national des chirurgiens-dentistes et l’Ordre national des médecins à ce titre [8].

MSSanté, espace de confiance, pour les messageries professionnelles

Comment le praticien connecté peut-il échanger de façon sécurisée des messages contenant des données de santé – des ordonnances, des comptes rendus de consultations, des demandes de télé-expertise… ? Pour éviter la tentation de l’e-mail ou du SMS classique, l’Agence du numérique en santé, anciennement l’Asip, a créé MSSanté, initié en 2012 et lancé fin 2017.

MSSanté est un espace de confiance rassemblant les messageries développées par différents opérateurs, éditeurs de logiciels, établissements de santé, administration, et répondant aux critères de l’Agence en termes de sécurité, interopérabilité et conformité à la loi.

Dans cet espace, le praticien connecté peut conserver une trace de ses échanges, envoyer un e-mail à un destinataire authentifié, garantir la sécurité des données, et trouver plus facilement le contact de ses correspondants, grâce à l’annuaire intégré.

Fin 2018, 1974 établissements de santé et 64 000 professionnels de santé avaient échangé 500 000 messages.

Il existe une grande diversité d’offres de messageries professionnelles françaises. Depuis le 1er mars 2020, les Ordres professionnels proposent la messagerie Mailiz, intégrée à l’espace MSSanté, gratuitement à tous les cliniciens disposant de la CPS.

L’échange de dossiers entre pays européens

La Commission européenne propose, grâce au programme MyHealth @European Union, l’échange de dossiers médicaux entre pays. Fin 2019, la Croatie, l’Estonie, la Finlande, le Luxembourg, Malte, le Portugal et la République tchèque participaient à de tels échanges.

Et pour conclure, face à un virus qui ne connaît pas de frontières, ne faudrait-il analyser les données médicales mondialement, afin de mieux gérer la prévention et le traitement, alors que c’est déjà compliqué à l’échelle d’un pays ?


[1] https://www.edimark.fr/Front/frontpost/getfiles/12653.pdf

[2] Comment améliorer l’usage du Dossier Patient Informatisé dans un hôpital ? David Morquin https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02305513/file/MORQUIN_2019_archivage_cor.pdf

[3] https://www.healthcareitnews.com/news/why-ehr-data-interoperability-such-mess-3-charts

[4] DeChant PF, Acs A, Rhee KB, et al. Effect of Organization-Directed Workplace Interventions on Physician Burnout: A Systematic Review. Mayo Clin Proc Innov Qual Outcomes. 2019;3(4):384–408. Published 2019 Sep 26. doi:10.1016/j.mayocpiqo.2019.07.006

[5] https://www.avocat-lexvox.com/historique-du-dossier-medical_ad88.html

[6] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lavenir-de-lassurance-maladie

[7] https://www.sante-sur-le-net.com/appli-dossier-medical-partage

[8] https://www.ticpharma.com/story/1338/cnil-les-plaintes-concernant-l-acces-au-dossier-medical-ont-augmente-de-42-en-2019-(rapport-d-activite).html

 

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