8e Grand Prix éditorial en Orthodontie
Premier lauréat Catégorie ADULTES
Les protocoles orthodontico-chirurgicaux ont pour objectifs l’amélioration de l’esthétique faciale et du sourire associé, et permettent de rétablir une occlusion fonctionnelle et pérenne. Ils prennent une dimension médicale quand il s’agit de restaurer les fonctions essentielles, telles que la mastication ou le sommeil, dans le cadre d’un syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS). En France, on estime que 4 % de la population présente cette pathologie. Non traitée, elle entraîne une augmentation de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaire, associée à un retentissement sur la vie quotidienne : somnolence, irritabilité, difficultés de concentration… Le diagnostic s’objective à l’aide d’une polysomnographie et de l’indice IAH (indice d’apnées et d’hypopnées). L’avancée bi-maxillaire présente un taux de réussite entre 65 % et 100 % selon les études, avec une moyenne autour des 88 % [1, 2]. Elle paraît également plus efficace que l’orthèse d’avancée mandibulaire, non supportée dans 20 à 30 % des cas. Ce taux d’échec est également retrouvé avec la pression positive continue, autre outil de prise en charge relativement
contraignant [1, 3].
Présentation du cas
Le patient est un étudiant âgé de 20 ans, gêné par son occlusion asymétrique, son diastème inter-incisif, qui consulte pour un second avis. Il constate également que son menton est anormalement en arrière, et non centré par rapport au milieu de son visage. Il rapporte par ailleurs avoir une fatigue diurne anormale, des réveils nocturnes fréquents et des ronflements importants.
Diagnostic
À l’examen exo-buccal (fig. 1a-c), le patient présente un profil bi-rétrusif avec des rapports de classe II squelettique modérée, dans un contexte d’hypodivergence, d’asymétrie avec latérognathie mandibulaire gauche importante. De profil, nous constatons un angle naso-labial ouvert et une distance cervico-mentonnière réduite, avec un menton dévié de 4 mm vers la gauche, sans recentrage à l’ouverture.
À l’examen endo-buccal (fig. 1d-h), les arcades sont larges, la courbe de Spee mandibulaire est marquée. Une classe II subdivision gauche de 5 mm est constatée, associée à une supraclusion de 5 mm, et une déviation du milieu inter-incisif mandibulaire en adéquation avec l’asymétrie faciale. Une bascule du plan d’occlusion est également à noter. La forme des arcades est large, en lien avec une langue assez volumineuse.
À l’examen fonctionnel, une symptomatologie musculo-articulaire est constatée à la palpation dans la zone de l’ATM gauche, associée à une hypertonicité des muscles masticateurs. Cela sera à surveiller pendant et après le traitement.
Une polysomnographie est prescrite à l’issue de la première consultation : l’IAH est évalué à 16/heure, 51 ronflements/heure et 13 désaturations/heure sont constatés. Un diagnostic de SAHOS léger à modéré est ainsi établi. La téléradiographie (fig. 1j) de profil objective une rétroalvéolie maxillaire compensatrice de la classe II squelettique, l’incisive mandibulaire étant correctement positionnée dans sa symphyse. La téléradiographie (fig.1i) de face confirme l’asymétrie faciale.
Objectifs de traitement
Le traitement entrepris ici vise à harmoniser le cadre squelettique dans les trois dimensions de l’espace, par le biais d’une intervention chirurgicale bi-maxillaire d’avancée et de correction de l’asymétrie. Ce protocole orthodontico-chirurgical a pour objectif complémentaire d’améliorer de manière pérenne la qualité du sommeil de ce patient. L’avancée des maxillaires va nécessairement augmenter le volume tridimensionnel des voies aériennes. Les alternatives thérapeutiques types orthèse d’avancée mandibulaire ou pression positive continue ne sont pas retenues pour ce patient, compte tenu de son jeune âge et de sa motivation pour le plan de traitement exposé. Le rétablissement d’une classe I dentaire symétrique, avec une correction de la supraclusion et de la bascule frontale du plan d’occlusion, sont des objectifs orthodontiques associés.
Séquences thérapeutiques
Le traitement orthodontique est réalisé en technique Incognito® linguale, individualisée. Son set-up orthodontique a pris en compte l’intervention chirurgicale programmée.
Une phase de décompensation chirurgicale est nécessaire, principalement concernant l’axe incisif maxillaire, qu’il faut vestibuler. Des élastiques de classe III sont adjoints à l’appareillage fixe. Les espaces interdentaires sont fermés préchirurgicalement, mais vont dans le sens d’une perte de torque antérieur importante en technique linguale, ou rabitting : des aciers .016x .024 « extras torques » sont alors utilisés en fin de préparation orthodontique (+21° au maxillaire, +13° à la mandibule), afin d’idéaliser les axes incisifs et le surplomb, pour optimiser l’intervention chirurgicale.
Associées aux cales intégrées dans le système Incognito®, des cales occlusales postérieures sont ajoutées pour prévenir des prématurités des dents mandibulaires avec l’appareillage maxillaire.
La classe II dentaire augmente alors, évaluée à 4 mm à droite, et 7 mm à gauche. Un an de préparation orthodontique a été nécessaire (fig. 2a-c).
Les cales sont retirées juste avant l’intervention, pour améliorer la précision du set-up chirurgical, son calage occlusal, mais surtout pour finaliser le nivellement de la courbe de Spee. Une gouttière souple de protection a été remise au patient, toujours dans le but de prévenir des prématurités antérieures. Des boutons vestibulaires ont été positionnés sur les dents, afin d’assurer un blocage intermaxillaire peropératoire efficace.
La chirurgie est simulée sur le logiciel Dolphin 3D Surgery®, après réalisation d’un scanner facial et d’un CT-Scan (fig. 2d-f).
Une avancée avec rotation du maxillaire dans un plan frontal, associée à une avancée mandibulaire différente à gauche et à droite sont les corrections tridimensionnelles programmées (fig. 3). Cette intervention a été réalisée par le Dr Laurentjoye Mathieu, chirurgien maxillo-facial à Bordeaux.
Les gouttières d’occlusion peropératoires et finales sont conçues à l’aide de ce set-up virtuel.
Le patient est revu deux semaines après l’intervention afin d’ajuster le positionnement des élastiques inter-maxillaires, avec une correction des béances latérales par égression postérieure notamment, attendues et visibles sur le set-up occlusal.
Un CT-scan et un scanner de surface sont de nouveau réalisés deux mois après l’intervention. Des superpositions avec l’imagerie pré-chirurgicale sont alors possibles. (fig. 4a-d). Une avancée maxillaire de 11,3 mm ainsi qu’une avancée mandibulaire moyenne de 13,6 mm sont finalement mesurées.
Avant l’intervention, le volume des voies aériennes préopératoire était de 35 732 mm³ (fig. 5a), et la surface mesurée de 1 408 mm2 (fig. 5b). Deux mois après l’intervention, ils sont passés respectivement à 74 212 mm³ pour le volume (fig. 5c) et 2 253 mm2 pour la surface des voies aériennes (fig. 5d). Le volume disponible pour les voies aériennes supérieures a donc plus que doublé après l’intervention. La superposition des imageries objective une projection significative du massif facial, ce qui a donc « libéré » les voies aériennes supérieures. (fig. 5e)
Concernant l’orthodontie de finitions après la chirurgie, des élastiques verticaux bilatéraux sont utilisés pour finaliser le nivellement de la courbe de Spee, en prenant appui sur des mini-vis hautes maxillaires positionnées entre les 5 et 6. Si l’appui avait été dentaire, des égressions molaires maxillaires auraient pu être préjudiciables et occasionner un sourire gingival postérieur. L’occlusion physiologique est finalement obtenue avec des arc TMA carrés .0182x .0182, plus souples que les arcs aciers rigides. La dépose de l’appareil orthodontique est réalisée six mois après l’intervention chirurgicale. Des contentions fixes sont collées de 12 à 22 et de 33 à 43, et des gouttières thermoformées sont réalisées pour un port nocturne, afin de prévenir toute récidive, comme une éventuelle réouverture des espaces inter-dentaires.
Les objectifs morphologiques, occlusaux et fonctionnels ont été atteints en fin de traitement (fig. 6a-j) Le ressenti du patient sur la qualité de son sommeil a nettement été amélioré, et ceci quasi instantanément après l’intervention chirurgicale.
Discussion
La durée de traitement a été de dix-huit mois. La chirurgie a eu un bénéfice fonctionnel, occlusal et esthétique évident pour ce patient. L’avancée réalisée a été conforme aux recommandations dans le cadre d’un SAHOS, à savoir supérieure à 1 cm [4].
Une nouvelle polysomnographie à six mois a révélé un IAH de 13/heure (lAH initial : 16). Les résultats ont été quelque peu décevants concernant ce score seul. En fait, ce patient présentait une quantité importante d’apnées d’origine centrale, phénomène plus rarement constaté que les apnées d’origines obstructives. Il faut savoir que l’étiologie des apnées d’origine centrale est variable, allant d’une hypothyroïdie à une origine congénitale. Le traitement de ces dernières est parfois complexe, ayant parfois recours à un stimulateur électrique du diaphragme par exemple. Un suivi au long cours a été suggéré au patient concernant son SAHOS, diminué mais non définitivement guéri.
Pour ce patient, la polysomnographie a montré tout de même que les apnées d’origines obstructives et les apnées d’origines mixtes ont été divisées par trois. Et les ronflements sont passés de 51/heure à 4/heure. Peut-on enfin parler d’une portée préventive de ce protocole de prise en charge ? Le patient étant encore jeune sans éléments de comorbidité associée, il est tout à fait envisageable que la qualité de son sommeil se serait dégradée à long terme.
À noter qu’aucune amélioration significative de sa symptomatologie articulaire n’a été constatée, elle a nécessité une prise en charge par kinésithérapie maxillo-faciale, y compris après le traitement. Cela rappelle le caractère imprévisible de l’impact des chirurgies orthognatiques sur les dysfonctions temporo-mandibulaires [5].
Conclusion
Ce cas clinique est l’illustration qu’un traitement orthodontico-chirurgical avec avancée bi-maxillaire est une solution efficace et pérenne pour améliorer la qualité du sommeil d’un patient présentant un SAHOS, particulièrement si le patient est jeune. Cela va au-delà des intérêts esthétiques, morphologiques et occlusaux de nos traitements habituels.
Les technologies numériques actuelles ont permis la réalisation d’un appareillage 100 % individualisé, en accord avec la planification chirurgicale, anticipant par exemple l’occlusion post-chirurgicale. La réalisation d’un nouveau scanner facial et d’un nouveau CT-scanner ont permis de quantifier les évolutions morphologiques consécutives à l’intervention, corrélées aux résultats de la polysomnographie. Les outils numériques à notre disposition ne peuvent pas pour autant se substituer à une communication efficace entre orthodontiste et chirurgien.
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