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Usure sévère et matériaux hybrides CAD/CAM

Par
Léa Massé, Mathieu Lemoine
Publié le 12.01.2024. Paru dans L'Information Dentaire n°1 - 17 janvier 2024 (page 24-29)

Information dentaire

Situation initiale

Un patient consulte, avec des demandes esthétique et fonctionnelle. Il présente une usure importante qui s’inscrit dans un contexte de tribo-érosion para-fonctionnelle. Cette usure généralisée est sans symptomatologie articulo-musculaire (absence d’arthralgie, myalgie, aucune constriction musculaire au réveil).

1. Le patient âgé de 42 ans, expose sa demande, avant tout fonctionnelle. L’examen exobuccal permet d’objectiver la perte de DVO (plis faciaux marqués, propulsion mandibulaire). On devine également l’importante perte de substance coronaire au sourire.

Traitement

Au vu du contexte para-fonctionnel et de l’étendue de la perte tissulaire, des coiffes périphériques minimalement invasives ont été choisies afin de restaurer l’esthétique et la fonction. Actuellement, aucun consensus n’est fait sur le choix du matériau d’infrastructure à privilégier. Les matériaux hybrides usinables présentent des propriétés mécaniques, physiques et biologiques intéressantes en contexte d’usure sévère (e.g., module d’élasticité, résistance à la propagation de fêlures, facilité de réintervention). Une réhabilitation globale avec remontée de dimension verticale d’occlusion (DVO) par l’intermédiaire de coiffes composites renforcés en nano-céramiques est décrite.

2. À l’examen clinique, le diagnostic d’usure généralisée est confirmé. Selon l’indice d'évaluation de l'usure BEWE (basic erosive wear examination), on note un score de 3 (perte de tissus durs touchant plus de 50 % de la zone de surface) pour chaque dent, conduisant ainsi à une note cumulée supérieure à 14.

3. La perte de substance importante associée à la parafonction (bruxisme diurne suspecté) nous amène à choisir une réhabilitation esthétique et fonctionnelle par coiffes périphériques minimalement invasives à l’aide de matériaux hybrides CAD/CAM. En première intention, l’extraction du débris radiculaire de la 36 est réalisée. S’ensuit la réfection des amalgames en place. Enfin, un traitement de biopulpectomie sur 22 est effectué, suivi d’une restauration corono-radiculaire de type RMIPP (Reconstitution par Matériaux Insérés en Phase Plastique) pour recouvrer une hauteur coronaire satisfaisante.

4. La séance suivante consiste à évaluer l’élévation de DVO nécessaire, à valider une situation esthétique et à enregistrer la position choisie. Des composites directs sans protocole adhésif sont réalisés selon la « free hand composite up » technique. Les composites sont façonnés grossièrement de canine à canine, au maxillaire et à la mandibule. Une hauteur et une largeur satisfaisantes des blocs antérieurs sont validées en fonction du visage, de la ligne du sourire et des souhaits esthétiques du patient.

5. La désocclusion des secteurs postérieurs est enregistrée à l’aide d’un silicone d’occlusion afin que cette position soit retranscrite hors bouche. Des empreintes à l’alginate sont réalisées et un arc facial permet d’enregistrer la position du maxillaire par rapport à la base du crâne. La situation-composite validée en bouche pourra être transférée sur articulateur.

6. Un wax-up à la nouvelle DVO est demandé au laboratoire, les morphologies dentaires sont revues. Le wax-up est transféré en bouche à l’aide de différentes clés en silicone dur et de résine bis-acryl. Les embrasures sont contrôlées et le mock-up est laissé en place pendant un mois minimum, de façon à valider l’élévation de DVO. L’augmentation de la hauteur des dents a nécessité un allongement coronaire intéressant tout le bloc antérieur, de 33 à 43 à la mandibule et de 13 à 23 au maxillaire. Le mock-up a servi de guide chirurgical pour l’incision, a été éliminé pour la chirurgie et a permis la cicatrisation correcte à sa remise en situation après l'intervention.

7. Lors de la séance de contrôle à deux semaines post-chirurgie, des contrôles et/ou réparations du mock-up sont effectuées. Il faut noter que tout au long de la phase transitoire, des gouttières souples (de sorte à s’ajuster à toute réfection de mock-up) ont été données au patient afin de protéger la résine fragile.

8. À un mois, le mock-up est validé, la phase d’usage peut débuter.

9. La suite du cas clinique a été réalisée en CFAO et flux numérique complet, une première empreinte est prise, mock-up en place. Les préparations pour coiffes minimalement invasives ont consisté en des épaulements à angle interne arrondis de 0,8 mm d’épaisseur et un polissage des surfaces occlusales de sorte à éliminer les angles vifs. Une nouvelle empreinte est effectuée, enregistrement de toutes les préparations. Lors de la modélisation, l’occlusion enregistrée à l’aide du mock-up pourra être transférée aux données de préparations.

10. Une position supra-gingivale de la limite cervicale des préparations est choisie pour faciliter le nettoyage (indice carieux anciennement élevé).

11. Le matériau choisi est hybride. Il correspond à une matrice de résine composite infiltrée de nano‑céramiques. Parmi les matériaux équivalents disponibles (matériaux hybrides CAD/CAM), il présente la plus haute valeur de résistance à la flexion (241 ± 29 Mpa) et à la compression (680 Mpa). Il présente également une faible dureté de Vickers (0,58 GPa). Ce matériau a été choisi pour sa résistance aux forces de mastication et donc sa durabilité, ainsi que pour sa ductilité. Il est moins susceptible de se fissurer ou de s’endommager. Cela en fait un matériau de choix en contexte d’usure sévère para‑fonctionnelle ; il aura tendance à se déformer, plutôt qu’à se fracturer, sous des charges occlusales élevées.

12. Après un essayage et la validation des coiffes, l’étape d’assemblage est engagée. Du fait des préparations rétentives choisies, un assemblage par scellement adhésif est privilégié après isolation à l’aide de cotons salivaires. Le travail se fait à 4 mains.

13. La situation à une semaine est très satisfaisante. Le patient retrouve un confort de mastication.

14. Une solution implantaire est envisagée pour la restauration de la 36 absente. L’alternative thérapeutique de bridge dento-porté n’a pas été retenue du fait de la parafonction présente ainsi que des préparations minimalement invasives et du matériau hybride choisis (i.e., propriétés mécaniques insuffisantes pour supporter un intermédiaire postérieur de bridge).

15. Les objectifs prothétiques (i.e., esthétique et fonctionnel) sont remplis. Le contrôle à un an et demi donne de belles perspectives quant à l’utilisation de ces matériaux hybrides usinables sur le long cours et en contexte d’usure sévère parafonctionnelle.

Les auteurs remercient le laboratoire Bertin, Bordeaux, ainsi que Madame Delphine Bibard pour leur précieuse aide dans la réalisation de ce cas.

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