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Information dentaire

L'Information Dentaire n°20 - 20 mai 2020

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Éditorial
« Mais alors, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? » I Lire ci-dessous
Vianney Descroix

Témoignage
Comment le confinement a changé ma vision sur le coaching et est devenu un beau compagnon… … I Lire >
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Application clinique en dentisterie numérique

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Le cabinet dentaire et le droit du travail en période de crise sanitaire I Lire >
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Jean-Paul Vassal

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Digression

Tisser du lien : une réflexion autour du masque I Lire >
Thierry Leroux


 

ÉDITORIAL

« Mais alors, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? »

Qui d’entre nous ne vit pas depuis quatre mois dans un sentiment d’étrangeté ?

Un malaise, un mal-être désagréable, comme nous en avons peu vécu d’aussi intense.

Le SARS-CoV2, vacherie de virus, petit bout d’ARN monocaténaire couronné, qui n’a ni conscience, ni volonté, ni passé, ni futur, et pourtant…

Et pourtant, c’est bien lui qui nous met au lit, au chevet de nos vies et qui nous oblige. Il nous contraint, le plus souvent dans l’isolement, la peine et le chagrin, et lorsque ce n’est pas nous qui en pâtissons, ce sont ceux que nous aimons.

J’ai une pensée émue pour Charles, 99 ans, qui a enterré Ginette, 91 ans, après soixante-dix ans de mariage.

Au premier temps du Covid on meurt seul, on accompagne seul, on clôture sa vie dans un sentiment d’étrangeté, inexorablement seul.

De cette étrangeté de la visioconférence, du Zoom®, du Skype®, du WhatsApp®, mourir au temps du Covid se fait par le truchement du numérique.

Peut-on aimer par visioconférence ? Devrons-nous apprendre à serrer fort dans ses bras sur Facebook® ou Insta® ?

Il y en a pour tous les goûts dans le Covid, pour ceux qui aiment la guerre, les médailles, les combattants du front, pour ceux qui aiment les archives et les revues de littérature, pour ceux qui se régalent et se délectent des avancées médicales, biologiques, scientifiques, ces grands intellectuels qui pensent, qui savent, qui prédisent, qui anticipent…

Pourrons-nous dire à nos aïeux que nous aussi nous avons fait la guerre ?

Le Covid nous contraint, nous oblige, et finalement nous transforme. Déjà des formules, les incantations s’inscrivent dans la petite histoire. « Le monde d’avant », « le monde d’après ». Du plus haut sommet de la France on nous enjoint de nous réinventer.

Et si, au contraire, il ne fallait pas tout réinventer ? Si, au contraire, il nous fallait naturellement revenir aux sources, à l’origine, à l’essentiel ?

Chacun fera bien comme il veut, le Covid pourrait nous contraindre, nous obliger à (re)mettre les choses en ordre, à leur donner du sens.

Je suis de ceux qui pensent que le malheur de l’homme vient de l’ambiguïté, de cette profonde difficulté qui est celle de donner du sens, le sens que l’on donne au monde dans lequel on vit, le sens que l’on donne à sa vie, dans le monde que l’on crée, libre d’inventer notre propre réalité.

Au second temps du Covid, ralenti, freiné par la force des choses, s’installe sans doute le besoin de s’interroger, de se questionner.

Paul Ricœur écrit « je suis ce que je me raconte ». Que nous racontons-nous au temps du Covid ? Quel sens donnons-nous à tout cela ?

Personne, jamais, ne peut se réjouir de la catastrophe ou de la crise, mais depuis leur apparition, les cataclysmes contraignent et obligent. Un de mes maîtres à penser, Viktor Emil Frankl, a élaboré une des plus belles théories de l’Homme grâce à – que c’est dur à dire – l’Holocauste. Nous ne guérissons jamais des blessures insondables des traumatismes. Nous apprenons d’eux, nous leur donnons du sens, nous les traversons, espérant que le temps fasse son office et qu’il nous permette petit à petit, moment après moment, de sortir de l’ambiguïté. Et grâce à la force d’une pensée narrative intelligente, nous leur donnons du sens.

Depuis maintenant quarante-six jours, une question m’obsède : « Quel sens cela a-t-il ? » Je ne crois pas au « monde d’après » collectif. Nous saurions déjà si les cataclysmes donnaient naissance à des jours meilleurs. Après tout ce que l’Humanité a traversé d’immondices indicibles, notre monde n’aurait rien à envier à l’Éden si les crises le transformaient profondément.

Au troisième temps du Covid, individuellement, notre responsabilité nous oblige et nous contraint à faire sens pour sortir de la claustration. Aujourd’hui, ma pensée fait sens au travers de trois mantras, qu’inlassablement je récite jusqu’à les incarner.

Le premier m’est offert par la légende du colibri. Dans l’anéantissement, l’effondrement et la chute, dans ce qui chaque jour nous bouscule, nous maltraite, chaque jour une goutte d’eau. Ce ne sont pas mes gouttes d’eau qui éteindront le feu, mais je fais ma part.

Je dois mon second mantra à Edgar Morin. Parce que nous ne savons jamais à quoi nous attendre, juste attendre que quelque chose arrive. Il nous faut fléchir, plier souvent et ne pas rompre, accueillir et s’adapter toujours, s’attendre à l’inattendu.

Le troisième, et de loin le plus puissant, est enseigné en méditation. Parce que le plus souvent, pour nous rassurer, nous évaluons, nous jugeons, nous interprétons et que très probablement le sens se trouve ailleurs, dans ce que sont vraiment les choses intrinsèquement, ce qu’en pali on nomme le « Tathatã », le fameux c’est ainsi.

Vianney Descroix
Faculté de chirurgie dentaire Garancière, Université de Paris
Chef de Service d’Odontologie
APHP Sorbonne Université
Membre du conseil scientifique et du conseil pédagogique de l’Institut Français d’Hypnose
Membre du comité éditorial de L’Information Dentaire