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Information dentaire

L'Orthodontiste n°5 - 15 décembre 2021

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Éditorial
Révolution numérique, intelligence artificielle en ODF : la meilleure ou la pire des choses ? I Lire ci-dessous
par Marie-José Boileau

Tribune
L’évolution des principes de la médecine factuelle et son application en orthodontie I Lire ci-dessous
par Martial Ruiz

Actualités
par Nicolas Fontenelle

Revue de presse scientifique
par Philippe Amat

Cas cliniques

Comment corriger les classes II sans collaboration  en technique multi-attaches chez l’adolescent ?
par Adrien Marinetti, Tess Cambray

Traitement d’une classe II division 1 par aligneurs à fonction d’avancement mandibulaire
par Sylvie Dupont

Proposition thérapeutique

Insuffisance transversale maxillaire et classe II squelettique : comment les gérer en un temps clinique chez l’enfant ?
par Alix Le Breton

Mémoires de D.E.S.

Planification virtuelle de l’occlusion finale lors d’une chirurgie orthognathique : étude rétrospective
par Manon Liévin

Performance et charge mentale de l’orthodontiste dans l’estimation des distances sur modèles réels (en plâtre) et modèles virtuels (en 3D)
par Camille Mengelle

5e grand prix en orthodontie
Les cas cliniques des premiers lauréats

L’Orthodontiste et Orthoplus s’associent


Éditorial

Révolution numérique, intelligence artificielle en ODF : la meilleure ou la pire des choses ?

Marie-José BOILEAU, rédactrice en chef

Incontestablement, nous vivons depuis quelques années une révolution numérique en ODF qui ne fait que s’accélérer. L’introduction dans notre spécialité des techniques d’intelligence artificielle ouvre une nouvelle étape que les organisateurs des Journées de l’orthodontie ont souligné, choisissant ce thème pour la séance des sociétés.

Cette évolution suscite enthousiasme mais aussi crainte. Cette dualité ranime dans notre mémoire le souvenir des devoirs de français ou de philosophie que nous avons tous faits quand le professeur, paraphrasant Ésope, nous faisait réfléchir sur une nouvelle technologie ou un progrès.
Même si nous apprécions, dans notre vie quotidienne, l’aide de ces « assistants » connectés et le temps qu’ils nous font gagner, sur le plan professionnel, malgré l’apport indéniable de ces nouvelles technologies dans certains domaines, la crainte récurrente de voir la machine remplacer l’homme ou, en ce qui nous concerne, de voir disparaître notre spécialité ressurgit. La lecture des actualités de ce numéro montre que cette crainte n’est pas sans fondement.

Comme pour toutes ces technologies, les enjeux économiques sont énormes. Les dérives sont possibles, dangereuses, mais pouvons-nous renoncer en leur nom à toutes les avancées que nous permet d’envisager l’intelligence artificielle ? Sûrement pas.

Nous ne pouvons cependant rester passifs. Il faut s’interroger sur l’exercice que nous voulons pour demain, intégrant ces nouvelles technologies mais conservant la maîtrise de nos traitements. Nous devons repenser notre enseignement, nos formations continues, apprivoiser ces méthodes et technologies, voire participer à leur développement.

Comme le soulignait le Pr Bouletreau, il faut s’en emparer pour ne pas les subir.

os choix et nos décisions d’aujourd’hui conditionneront l’orthodontie de demain. Car si, comme la langue, l’intelligence artificielle peut être la meilleure ou la pire des choses, cela dépendra de ce que nous en ferons.


Tribune

L’évolution des principes de la médecine factuelle et son application en orthodontie

Martial Ruiz, spécialiste qualifié en orthopédie dento-faciale, cenon

Depuis Louis Pasteur et Claude Bernard, la recherche clinique et la notion de preuve scientifique sont au cœur du développement des différentes disciplines médicales. L’importance du nombre d’études cliniques et leurs résultats parfois contradictoires ont fait naître au début des années 1990 la nécessité de développer des outils d’évaluation de la crédibilité des données issues de la recherche et d’appréhender dans quelle mesure elles peuvent être appliquées dans une pratique quotidienne.

Aujourd’hui, la médecine factuelle est un élément constitutif de la pratique médicale au même titre que les antibiotiques ou les vaccins. La pandémie que nous traversons en est une parfaite illustration. Elle souligne l’importance de l’épidémiologie dans la compréhension de l’évolution d’une pathologie, mais aussi l’indispensable nécessité d’études parfaitement conduites pour évaluer l’efficacité des solutions thérapeutiques proposées. Les médias nous abreuvent de termes issus de la méthodologie de l’expérimentation clinique : R effectif, phases 1, 2 ou 3 d’études cliniques, analyse en double aveugle, contrôle des biais expérimentaux.

L’orthodontie comme discipline médicale n’échappe pas à la nécessité de l’évaluation de ses pratiques, de ses moyens ni de ses résultats. Un article récent décrit de façon assez pertinente le parcours d’apprentissage dans la vie d’un orthodontiste [1]. L’auteur assimile ce parcours à l’effet Dunning‑Kruger ou effet de surconfiance. Bien connu en psychologie comportementale, il représente un biais cognitif caractérisé par une surestimation de nos compétences inversement proportionnelle à notre connaissance d’un sujet. Ainsi, au début de notre exercice nous pouvons avoir le sentiment d’avoir les compétences pour gérer l’ensemble des dysmorphoses que nous rencontrons. Après quelques déboires dans la conduite de certains traitements et face à des récidives, nous prenons conscience de la complexité de notre discipline. Le sentiment que les traitements présentés par d’autres, lors des congrès, sont éminemment mieux réalisés que les nôtres, finit par réduire considérablement la confiance initiale en notre infaillibilité. La conduite d’un traitement orthodontique nous apparaît alors dans sa complexité, dans la difficile gestion de la multitude de facteurs qu’il conviendrait de maîtriser pour offrir les soins les plus adaptés à notre patient. Vient ensuite le long labeur de perfectionnement à travers diverses formations.

L’utilisation des données issues de la recherche des preuves participe pleinement de cette démarche d’amélioration de notre pratique et court‑circuite l’effet Dunning‑Kruger. La médecine factuelle est fondée sur le postulat que ce qu’il est raisonnable de croire
en médecine dépend de la fiabilité des preuves qui sont avancées et, de ce fait, de la crédibilité du processus utilisé pour les élaborer [2]. Il en résulte trois éléments fondamentaux :

  • toutes les preuves ne sont pas égales. Il existe une hiérarchie des preuves avec une supériorité des études cliniques contrôlées sur les études non contrôlées et les observations individuelles des cliniciens ;
  • il convient d’examiner l’ensemble des preuves fournies par l’expérimentation clinique
    et ne pas sélectionner celles favorisant un résultat particulier. Il en résulte une valeur de preuve supérieure aux regroupements d’études réalisés suivant un processus méthodologique contrôlé, revues systématiques et méta analyses, sur les résultats d’une étude prise individuellement ;
  • enfin, la décision médicale ne peut être fondée uniquement sur les preuves mais doit également tenir compte du particularisme du patient, de ses valeurs et de ses préférences.

Au début des années 2000, afin de sensibiliser les cliniciens à cette démarche de recherche de preuves, l’accent a été mis sur la reconnaissance des biais expérimentaux et la compréhension de leur impact sur les résultats des études cliniques. Il en a résulté une conception assez rigide de la hiérarchie des études et de la suprématie de l’étude contrôlée randomisée. Ce type d’étude, lorsqu’elle est bien conduite, présente incontestablement une supériorité méthodologique permettant d’obtenir une réponse à une question thérapeutique. Elle est, toutefois, souvent incompatible avec la démarche de soin en orthodontie qui se caractérise par un temps long et une multitude de facteurs impliqués dans les résultats. Actuellement, cette hiérarchie de la méthodologie des études, toujours basée sur un contrôle des biais expérimentaux et des facteurs de confusion, est nuancée en fonction des domaines de recherche abordés : thérapeutique, diagnostic, étiologie, pronostic ou recherche fondamentale.

La profusion d’études publiées, leur lecture, leur analyse, le travail de compilation bibliographique, l’analyse comparée des différentes études et le travail de synthèse des résultats nécessitent des connaissances méthodologiques et statistiques qui relèvent actuellement d’un travail d’experts. Toutefois, l’accès à ce type d’informations est primordial pour permettre au clinicien de prendre en compte les progrès de la recherche clinique dans un cadre de soins.

Les revues systématiques et les méta analyses ont vocation à répondre à cette nécessité. Elles correspondent à une synthèse de l’ensemble des études réalisées sur un sujet donné et, de fait, répondent au second précepte de la démarche de recherche de preuve qui recommande d’examiner l’ensemble des preuves disponibles pour fonder une décision clinique. Dans une démarche de recherche de preuves, elles sont considérées comme supérieures à une étude prise individuellement. La profusion des publications de ces travaux de synthèse ne doit pas faire oublier qu’elles doivent répondre à une démarche méthodologique très stricte et que leurs résultats sont dépendants de la qualité méthodologique des études retenues.

La difficulté à conclure de certaines revues ou l’aspect parfois contradictoire de leurs résultats peut toutefois éveiller le scepticisme. Les critiques qui sont communément formulées sur la démarche de la médecine factuelle en général et de son application en orthodontie en particulier, résultent en grande partie de ces apparentes contradictions.

La nécessité de fournir des informations fiables et applicables cliniquement a amené les agences sanitaires et des sociétés savantes, conscientes de l’impact d’une médecine factuelle sur la qualité des soins, à proposer des guides de bonne pratique. Ces guides, élaborés suivant une méthodologie particulière, fournissent des recommandations qui seront scorées en fonction du degré de confiance attribuées aux données scientifiques. La médecine factuelle a ainsi évolué vers l’élaboration de ces guides, à travers des systèmes de gradation (HAS, GRADE, AAP, INCa).

Les systèmes de gradation vont relativiser la hiérarchie initialement élaborée par l’evidence-based medicine. Ils vont minorer ou majorer la valeur de preuve des études (randomisées, en cohorte, cas témoins, transversales) en intégrant la prise en compte d’autres critères de jugement tels que les risques de biais, la gestion des facteurs de confusion, la taille de l’effet, la force d’association (risque relatif et odds ratio). Dans la phase suivante de synthèse des résultats, d’autres facteurs seront pris en compte tels que l’hétérogénéité des résultats des différentes études, mais également le rapport risque‑bénéfice.

Enfin, un comité d’experts sera chargé de prendre en compte les valeurs et les préférences, les aspects économiques et la faisabilité des recommandations. La force des recommandations qui seront établies reposera donc sur le niveau de preuve scientifique des études ainsi
que sur l’interprétation des experts [3].

En France, dans notre discipline, les recommandations élaborées conjointement par la FFO la SFODF et la SMODMF, sous la vigilance méthodologique de Françoise Saint Pierre, répondent au défi de fournir aux cliniciens une synthèse des preuves scientifiques disponibles ainsi qu’une gradation de la confiance à leur accorder, sur différents sujets cliniques. Nous avons eu récemment une démonstration flagrante de l’utilité de ce processus de synthèse avec la publication des recommandations de la maîtrise du risque infectieux dans nos cabinets.

Ces recommandations parues en 2015 ont été remises à jour durant la première période de confinement [4]. Les informations scientifiques concernant le virus responsable de la pandémie étaient alors pratiquement inexistantes. Toutefois, la rigueur du travail effectué par le comité d’expert et le travail remarquable de recueil bibliographique, d’analyse des données et de synthèse de Françoise Saint Pierre, puis la diffusion et l’acceptation de ces recommandations par les cliniciens, ont contribué grandement au contrôle de la pandémie dans nos cabinets, à la préservation de la santé de notre personnel, de nos patients et de la nôtre. Cette expérience est une parfaite illustration de la puissance pratique d’un processus d’analyse rigoureux des études scientifiques et du bien-fondé d’une médecine fondée sur les preuves ainsi que de sa nécessaire application en orthodontie.

Bibliographie

1. Hirschhaut M, Flores-Mir C. Orthodontic learning curve: a journey we all make. Am J Orthod Dentofacial Orthop. 2021;159(4):413-4.
2. Djulbegovic B, Guyatt GH. Progress in evidence-based medicine: a quarter century on. Lancet. 2017;
390(10092):415-23.
3. Haut Conseil de la Santé Publique. Méthodologie de gradation des recommandations en pratique vaccinale fondée sur le niveau des preuves scientifiques. Rapport, janvier 2016. www.hcsp.fr/Explore.cgi/Telecharger?NomFichier=hcspr20160112_gradationrecovaccbasnivpreuvscie.pdf.
4. FFO, SFODF, SMODMF. Maîtrise du risque infectieux dans le cadre de la réalisation des actes d’orthodontie. Actualisation avril 2020. www.sfodf.org/avada_portfolio/maitrise-du-risque-infectieux-dans-le-cadre-de-la-realisation-des-actes-dorthodontie-avril20.