Gestion des soins dentaires et pandémie Covid-19

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°18 - 5 mai 2020

Cet article fait partie du dossier : Covid-19

  • Un dossier proposé par L'Information Dentaire
Information dentaire
Article analysé : Alharbi A, Alharbi S, Alqaidi S. Guidelines for dental care provision during the COVID-19 pandemic. Saudi Dent J 2020 Apr 7. doi: 10.1016/j.sdentj.2020.04.001. [Epub ahead of print]

Dans le contexte épidémique du Covid-19 et de confinement national depuis le 16 mars dernier, tous les cabinets dentaires libéraux ont fermé sur injonction du Conseil National de l’Ordre. Les structures odontologiques hospitalières se sont réorganisées pour la seule prise en charge des urgences. En ville, les conseils ordinaux départementaux ont organisé un système de garde avec les praticiens volontaires pour la prise en charge des soins les plus urgents après régulation téléphonique.

Compte tenu du caractère inédit et durable du confinement et de circulation du coronavirus, comment définir et prendre en charge les besoins essentiels de la population en ce domaine tout en préservant la sécurité sanitaire de tous ? Les auteurs de cet article nous rappellent le fort risque de transmission lors des soins dentaires habituels générateurs d’aérosols dans lesquels le virus serait présent. Dans le contexte de pandémie, ils rapportent qu’en l’absence de recommandations scientifiques internationales et standardisées, beaucoup d’États ont stoppé ou considérablement réduit leur offre de soins dentaires. En Chine, au plus fort de l’épidémie avec un confinement très strict, la demande en soins dentaires urgents n’a pourtant décru que de 38 %. Ils proposent alors un guide décisionnel pour gérer ces soins pendant et après la pandémie Covid-19. Ils considèrent d’abord la période d’incubation de 14 jours pendant laquelle la transmission du virus est possible par des sujets asymptomatiques, mais aussi l’hypothèse que le virus pourrait demeurer présent jusqu’à 29 jours dans la salive. Ils recommandent alors une évaluation méticuleuse des patients classés en cinq catégories vis-à-vis de l’infection au SARS-CoV-2. D’un côté les patients confirmés positifs dont les malades stables, les malades instables et les patients guéris. De l’autre les patients non testés positifs qui peuvent être soit asymptomatiques (mais considérés comme vecteurs potentiels), soit symptomatiques (et considérés comme des malades suspects). Les soins envisageables sont également classés en cinq catégories :

  • A : les urgences avec risque vital (fractures maxillo-faciales, infections diffusantes, hémorragies) ;
  • B : les urgences dentaires douloureuses gérables sans aérosolisation (extractions dentaires, gestion des infections localisées, blessures des tissus mous par système orthodontique…) ;
  • C : les urgences dentaires nécessitant aérosolisation (pulpites douloureuses, fractures de dents vitales, rescellement de prothèses fixées, correction de fractures de prothèse fixée irritant les muqueuses, symptôme parodontal aigu) ;
  • D : soins non urgents (correction ou réparation des prothèses amovibles, réfection d’une restauration ou prothèse fixée fracturée ou altérée mais asymptomatique, réparation d’un système orthodontique asymptomatique, affection parodontale chronique) ;
  • E : soins facultatifs : examens de contrôle, restaurations esthétiques, traitement ou extractions des dents asymptomatiques, réhabilitations prothétiques, implantologie, orthodontie…

Les patients non testés et sans aucun symptôme peuvent bénéficier des traitements d’urgence (A, B, C), les patients non testés symptomatiques et les patients malades confirmés Covid+, seulement des urgences vitales (A). Les malades Covid stables et les patients guéris depuis moins de 30 jours peuvent être traités pour les urgences douloureuses sans aérosolisation (A et B), avec coordination médicale pour les malades. Seuls les patients guéris de plus de 30 jours peuvent bénéficier de tous les traitements. Les auteurs insistent par ailleurs sur les mesures de protection en minimisant les aérosols par l’usage de la digue à chaque fois que possible, par une désinfection à l’aide d’un bain de bouche de 15 secondes à la povidone iodée à 0,23 % et par l’emploi de matériel à usage unique notamment. Ils insistent aussi sur le caractère non restrictif de leurs recommandations et considèrent que la décision finale du traitement appliqué au cas par cas doit être laissée à l’appréciation professionnelle du praticien.

Commentaire

Cet article est révélateur de toute la difficulté d’émettre des recommandations de prise en charge face à une infection virale dont on ne mesure toujours pas bien les modes de contamination potentiels exacts au cabinet dentaire ni les moyens efficaces de les prévenir. En effet, s’il est probable que le virus présent dans la bouche et dans les voies aérodigestives supérieures puisse être projeté dans les aérosols générés par les instruments rotatifs, aucune étude à ce jour n’en mesure la quantité et la virulence, ni le pouvoir de contamination direct ou indirect par ces aérosols. On sait par ailleurs que le virus peut aussi être présent un certain temps sur des surfaces contaminées par des expectorations ou par de la salive où il est présent, que la transmission manuportée serait importante et que la bouche, le nez et la surface oculaire sont ses voies de pénétration privilégiées.

Concernant les équipements de protection individuelle (EPI), seuls les masques à la norme FFP2 ou les barrières mécaniques étanches (lunettes ou visières) ont un pouvoir filtrant ou barrière suffisant pour bloquer le virus. Face à la saturation des hôpitaux par les cas graves, compte tenu de la méconnaissance de la maladie et des risques de contamination potentielle pour les praticiens, leur personnel et les patients, des mesures de précaution extrêmes ont été prises dans la plupart des pays par la fermeture des cabinets dentaires et la restriction des soins aux urgences les plus élémentaires.

En France, l’Ordre National des Chirurgiens-Dentistes a diffusé un cahier de recommandations d’experts en date du 24 mars (actualisé le 20 avril) pour la prise en charge des seules urgences douloureuses par les praticiens de garde. Il demande à chaque praticien d’assurer des consultations à distance (bien que non formalisées et non facturables). Dans les cabinets de garde réservés aux urgences douloureuses, il est recommandé de limiter autant que possible les radiographies intra-buccales et les actes avec aérosolisation qui doivent être réalisés sous digue en diminuant au maximum la quantité d’eau, d’autant que les dotations en EPI pour ces gardes sont très insuffisantes, mais aussi inégales selon les départements. Mais comment gérer une douleur pulpaire aiguë autrement que par une pulpotomie réalisée sous spray ?

Les recommandations des auteurs de cet article sont elles aussi extrêmement prudentes sur les conditions de mise en œuvre des actes dentaires et privilégient la précaution maximale face au virus. Elles font toutefois le pari d’une immunité acquise 30 jours après la guérison de la maladie alors que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) vient d’annoncer que celle-ci n’est pas prouvée. De plus, l’ensemble des recommandations reportent ou déconsidèrent les urgences prothétiques non douloureuses telles que les fractures de prothèses complètes qui ne permettent plus aux patients de s’alimenter normalement ou encore les descellements de prothèses fixées qui engendrent rapidement une perte de chance avec des risques biologiques et mécaniques avérés pour la conservation des structures résiduelles.

Le confinement national a seulement mis « en pause » la circulation du SARS-CoV-2. Le 21 avril, l’Institut Pasteur estimait que moins de 6 % de la population française auraient été infectés quand 65 % seraient nécessaires au minimum pour bloquer sa circulation, et tandis qu’aucun vaccin ne sera disponible avant plusieurs mois. Plus les restrictions en offre de soins durent, plus les urgences jusqu’alors repoussées ne peuvent plus l’être davantage. Ce coronavirus continuera donc sans doute à circuler au moins plusieurs mois. Est-il alors complètement déraisonnable de considérer que l’offre de soins dentaires doit pouvoir reprendre, certes avec des mesures de précautions adaptées mais sans être trop restreinte sous peine de sacrifier la santé dentaire de toute une population ? Au-delà des soins réparateurs et des réhabilitations, les actes de prévention et les traitements orthodontiques chez les enfants en croissance ne peuvent être suspendus pendant des mois.

Après le 11 mai, il faudra donc peut-être apprendre à vivre, à travailler, à soigner et à être soigné avec la présence de ce coronavirus et avec toujours à l’esprit la notion de bénéfice-risque en balance. Pour appréhender ce risque, il faudrait idéalement pouvoir connaître par un test rapide, accessible et bon marché, si un patient est infecté ou immunisé vis-à-vis du virus, ce qui impliquerait, d’une part, des tests massifs et réguliers de toute la population et, d’autre part, la certitude d’une immunité acquise.

L’État français en sera-t-il capable ? Pour minimiser ce risque, il faudra pouvoir mettre en œuvre au cabinet dentaire des mesures de protection, de prévention et de désinfection adaptées aux pratiques modernes qui reposent principalement sur des actes réalisés sous spray qui ne peuvent être évités. Ces mesures de précaution nécessiteront une nouvelle organisation et des investissements qui auront forcément une répercussion sur le coût des traitements. Comment et par qui ce surcoût sera-t-il assumé ? À ce jour, nos incertitudes concernent autant le pouvoir de contamination des aérosols, les possibilités de les neutraliser, l’immunité ou la contamination des patients et les moyens de les prendre en charge avec les moyens thérapeutiques actuels et un maximum de sécurité. La seule réponse des pouvoirs publics, devant tant d’incertitudes et, faute de protections disponibles, fut la quasi-suspension de toute activité. Mais face à ce virus respiratoire, combien de temps la société devrait-elle encore retenir son souffle ? Encore une question…

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