Premier bilan de l’épidémie de coronavirus

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°16 - 22 avril 2020

Cet article fait partie du dossier : Covid-19

  • Un dossier proposé par L'Information Dentaire
Information dentaire
Pr Philippe Gabriel Steg, Réseau FACT, hôpital Bichat, AP-HP; Université Paris-Diderot et Inserm U1148, Paris

À l’heure où j’écris ces lignes, nous n’avons pas encore les résultats des essais randomisés contrôlés testant les traitements préventifs et curatifs éventuels de l’infection à coronavirus. Pourtant, nous sommes en mesure de tirer un premier bilan de l’épidémie et de l’impact qu’elle a eu sur un système de santé qui est, malgré ses qualités indéniables, en difficulté depuis quelques années.

La première constatation, c’est que le système hospitalier “a tenu”. Bien que l’épidémie soit loin d’être terminée, le système a fait face et n’a pas été débordé. Il a réussi à se mobiliser et se réorganiser à une vitesse incroyable, triplant, quadruplant, quintuplant quelquefois les capacités de réanimation des hôpitaux, mettant en œuvre en temps réel une réallocation complète des moyens, où des chirurgiens orthopédistes ont accepté de devenir aides-soignants et des spécialistes de se transformer en urgentistes ou infectiologues. De nombreux services ont purement et simplement fermé totalement leur activité et affecté leur personnel médical et paramédical aux unités “COVID” qui sont apparues et ont essaimé dans les hôpitaux. Chaque soir, le bilan faisait apparaître des unités de réanimation remplies sans lit disponible, et chaque matin, grâce aux équipes de gestion de crise, des solutions étaient trouvées pour en créer de nouveaux. Ce miracle s’est aussi répété pour la gestion des stocks et des approvisionnements, des personnels, des volontaires, des locaux. Il a fallu gérer les stocks de ventilateurs, de pyjamas, de médicaments, de consommables, prévus pour une activité normale mais pas pour une activité multipliée par 4 ou 5 en deux semaines, avec chaque jour la menace d’une nouvelle pénurie. Cela n’a été possible que grâce à un engagement incroyable de l’ensemble des personnels qui font l’hôpital, à une solidarité entre professionnels, à l’investissement des équipes administratives, et aussi à la solidarité entre régions, permettant le transfert de centaines de patients des régions les plus affectées vers les moins touchées, libérant ainsi de précieux lits de réanimation.

Dans cette crise, plus de place pour les divisions et les obstacles entre les différents acteurs de l’hôpital. L’urgence a prévalu. Cette solidarité a d’ailleurs fait ressurgir au sein de l’hôpital un climat étrange de “bienveillance mutuelle” où ce qui était compliqué et bureaucratique quelques jours plus tôt devenait subitement fluide et simple. Dans ce combat, on souligne l’héroïsme des soignants. On doit se méfier du lyrisme.

D’abord, l’héroïsme est celui de tous les acteurs de l’hôpital, depuis les vigiles qui accueillent le public à l’entrée jusqu’aux personnels de ménage qui se chargent jour après jour de la gestion des déchets contagieux, au risque de leur propre contamination, en passant par les secrétaires, les ouvriers et, bien sûr, les soignants. Et puis, malheureusement, s’il y a eu héroïsme, c’est que tous les acteurs de la chaîne de soins n’ont pas toujours eu les équipements de protection qu’ils auraient dû avoir. Le manque de masques, notamment au début de l’épidémie, et tout particulièrement pour les personnels de santé exerçant en ville (médecins généralistes ou spécialistes, mais aussi kinésithérapeutes, aides-soignants, auxiliaires de vie et toutes les professions du secteur médicosocial), restera un défaut majeur dont les causes devront être analysées. La responsabilité d’avoir “désarmé” à tort un système de prévention et de lutte contre les épidémies à la suite des campagnes de presse dirigées contre la ministre Roselyne Bachelot à l’issue de la grippe H1N1 devra être éclaircie.

Un deuxième constat est que ceux à qui on demande beaucoup en temps normal ont donné encore plus face à la crise. C’est particulièrement éclatant dans le cas des personnels des urgences hospitalières, en grande difficulté depuis des années et qui ont démultiplié leur activité dans le contexte de la crise. Il faut bien entendu se méfier des raisonnements simplistes : on ne dimensionne pas des services hospitaliers en fonction du pic d’une épidémie centennale, mais il est clair que la variable d’ajustement qui a permis à l’hôpital public de tenir face à la vague de malades, c’est, outre la solidarité du privé et des autres régions, l’engagement profond, nuit et jour, des professionnels à tous les échelons. Sans ignorer les mérites d’autres professions, force est de reconnaître qu’il est peu de domaines de l’activité humaine où on demande tant à des personnels habituellement aussi mal payés au regard de leurs compétences et de leurs responsabilités.
À cet égard, les réformes récentes apparaissent encore incroyablement timides, quelquefois d’ailleurs du fait d’un corporatisme étroit de certains syndicats médicaux. Par exemple, celle, très timorée, concernant les infirmières de pratique avancée, montre que les nouvelles responsabilités données aux professions de santé le sont au prix d’un parcours administratif long et complexe, et avec une gratification financière qu’il faut bien qualifier de symbolique. Il est temps que, concernant leurs champs de compétences aussi bien que le niveau de leurs responsabilités et de leurs rémunérations, les professions de santé rejoignent leurs pairs d’autres pays et d’autres secteurs professionnels.

Un troisième sujet de réflexion est celui de la recherche : nous ne savons pas encore s’il y aura un ou plusieurs traitements ayant une efficacité sur l’infection à coronavirus et sur ses conséquences. On peut se réjouir que, malgré le contexte épidémique et dans l’urgence, il ait été possible de mettre sur pied, en quelques semaines, quelques jours parfois, des études de cohortes, des biobanques, voire des essais randomisés contrôlés.

Des procédures de fast track ont permis d’obtenir en 48 heures les autorisations habituellement obtenues en 3 mois. Des dizaines d’études sérieuses ont débuté en France, et des centaines dans le monde. De nombreuses voies thérapeutiques sont explorées, des antiviraux aux anticytokines, des transfusions de plasma de convalescents à l’injection de cellules souches ou à la perfusion de molécules transporteuses d’oxygène. Mais on ne peut passer sous silence la défaite mémorable pour la santé publique et la culture scientifique du grand public qu’aura été la présentation, d’abord sur les réseaux sociaux, puis dans une revue scientifique de complaisance, d’études cliniques de mauvaise qualité qui n’auraient pas passé le cap d’une évaluation digne de ce nom dans n’importe quel journal à comité de lecture indépendant, et qui, malgré une présentation tapageuse, ne permettent pas de conclure à l’efficacité ou à l’absence d’efficacité d’une molécule. Ce qui est proprement sidérant, c’est que la préférence donnée au jugement des médias et des politiques sur l’évaluation rigoureuse par les pairs et la nécessité d’une réplication expérimentale a été accompagnée de la théorisation de la supériorité de l’empirisme sur la méthode expérimentale, de critiques contre les essais randomisés, jugés non éthiques, et finalement de la préférence donnée à l’argument d’autorité (l’“eminence-based medicine”) par rapport à la médecine fondée sur les preuves (“evidence-based medicine”). Ce qui est présenté comme le combat du “franc-tireur” contre les “mandarins” est en réalité exactement l’inverse : refuser la méthode expérimentale, la vérification, la réplication, c’est revenir dans le passé à l’époque où l’autorité et l’intuition du patron valaient preuve. À l’inverse, la médecine par les preuves, dérivées des essais cliniques, c’est la possibilité donnée à tous, quels que soient leur rang, leur pays, leur spécialité, de tester expérimentalement une hypothèse, de la vérifier ou l’infirmer, de répliquer les résultats, et, via la revue par les pairs, de critiquer ou modérer les conclusions qui en sont tirées ; processus de confrontation des doutes, des opinions, processus de vérification. L’avenir dira si la chloroquine et ses dérivés ont une efficacité, même partielle, contre l’infection à coronavirus, et ses conséquences chez l’homme.

Ce qui est malheureusement déjà établi, c’est qu’il sera durablement plus difficile de réaliser des essais randomisés en France et dans le monde. Et que ce recul ne pourra que ralentir le progrès médical et l’innovation.

P.G. Steg déclare avoir des liens d’intérêts avec Amarin, Bayer, Sanofi, Servier (bourses de recherche) ; Amarin, AstraZeneca, Bayer, Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Idorsia, Novartis, Pfizer, Sanofi, Servier (études cliniques) ; Amgen, Novo-Nordisk, Regeneron (orateur ou consultant).

Cet article fait partie du dossier : Covid-19

  • Un dossier proposé par L'Information Dentaire

Commentaires

Laisser un commentaire